Nakamura Hideki ~ Run for your night

Si Hideki devait retenir une seule chose de son enfance, ce ne serait pas cette chance de naître dans un milieu où tout est supposé vous réussir. La musique, il n’en parlerait qu’en second pour évoquer ensuite les instruments les plus chers à son coeur. Non, quand Hideki repense à son enfance, la première personne qui vient à ses pensées, c’est sa mère. Tous ces moments partagés avec elle, leur complicité, et ce bout de normalité qu’elle a essayé de lui donner sur les touches d’un piano près duquel ils se retrouvaient tous les deux. De ses souvenirs précieux dans lesquels son père est parvenu à s’effacer sans son aide, il garde des sentiments que le présent rend contradictoires.

Né d’une mère compositrice et d’un père pdg d’une maison de disques japonaise, Hideki a baigné très vite dans le monde de la musique. Et c’est naturellement très jeune qu’il se montre actif dans ce milieu en mettant les doigts sur son premier instrument. Touche à tout et captivé par les notes, les cordes d’une guitare deviendront son second moyen d’expression quand des baguettes viendront terminer ses mains des années plus tard pour remplacer les touches dont il n’ose plus s’approcher.
Que le don soit héréditaire ou non, l’enfant développe rapidement une certaine aisance avec les notes et son physique déjà charmant petit fait entrevoir à son père la possibilité d’en faire son prochain poulain, là où il le voyait ne suivre que des études pour être capable de reprendre le business familial le moment venu.

Mais déjà enfant, Hideki ne voit que sa mère. Ces cours de piano deviennent ses moments préférés de la journée. Rapidement conscient qu’elle forme un couple parfait avec son père uniquement pour les apparences, ses premières rancoeurs pour l’homme apparaissent à cette époque. Déçu de constater à quel point sa mère passe en dernier hormis lors des évènements où il faut l’exhiber, sa relation avec elle se renforce comme s’il pensait pouvoir lui donner l’attention méritée. Il n’est qu’un gosse quand il se proclame ange gardien de cette femme qu’il admire. Enfant joyeux juste pour lui rendre le sourire, ses techniques ne sont pas toujours parfaites et il maudit son père à chaque nouvelle larme qu’il surprend. Pourtant, même si Hideki se sent parfois inutile, il persiste à jouer les clown.

La dépression dont souffre sa mère, il est cependant loin de la soupçonner. Quand aujourd’hui, il n’est même plus certain que les sourires de sa mère en étaient des vrais… oui, même ceux qu’elle lui adressait. Toutes ces choses qu’il ne voit pas à l’époque… ce sac en plastique  avec des boîtes de médicaments à l’intérieur déposé froidement par son père jusqu’à ce dossier médical que ses yeux n’ont que le temps d’apercevoir… oui, des regrets, il en garde un paquet aujourd’hui.
S’il avait su, sans doute qu’il n’aurait pas laissé son père lui voler de plus en plus de son temps pour l’intégrer petit à petit à la compagnie et le former à cet avenir “radieux”.  Si pour son père, la musique n’est qu’une question de devenir le meilleur, pour Hideki, il faut un coeur pour avoir le droit d’en faire. Et de coeur, son père n’en n’a aucun. S’il le juge un peu plus froid chaque jour, il y a bien un côté positif à tout ça. Avoir à le traiter comme son “patron” plutôt que son “père” ne lui pose aucun soucis.  Ne pas l’appeler par sa fonction familiale, il n’y a rien de plus simple. En fait, “papa” est un mot bien étrange qui ne veut pas dire grand chose dans son monde à l’époque.

Tout comme le mot “maison” fini par perdre toute valeur à ses yeux le jour où son père et lui en deviennent les seuls résidents.
Il a 16 ans. Il est déjà tard quand il rentre de la maison de disques avant son père. Il ne s’étonne pas de trouver toutes les lumières éteintes. Et de ce silence pesant, il n’en prend conscience qu’en allumant le salon. S’il n’est resté alors que quelques secondes figé, il a aujourd’hui encore l’impression d’être resté planté là, impuissant, pendant des heures.
Il ne sait plus exactement comment il est parvenu à décrocher sa mère du lustre, il se revoit bien appeler les urgences tout en se répétant qu’il n’était pas trop tard… et il se souvient avoir tenté de se mentir pendant des mois… sa mère allait revenir, ce n’était pas possible autrement, ça ne pouvait être qu’un cauchemar, elle ne l’avait pas vraiment abandonné ici tout seul ? Oui… ce n’était que des vacances avec un enterrement pour les entamer….
Difficile pourtant de le nier avec tout ce déballage médiatique…. Rester impassible sous les ordres de son père, ne rien dire, être un bon fils et simplement mourir à l’intérieur d’avoir perdu cette petite lumière, pourtant si triste, qu’il essayait de faire briller chaque jour.

Oui, Hideki aime son enfance… oui, il en est fier… mais quelque part, il la voit aussi comme son plus grand échec.
Dans des apparences qui le répugnent, il continue à jouer les Nakamura parfaits, prenant exemple en public sur la froideur d’un père qui ne versera pas une seule larme quand ses doigts à lui ne savent plus toucher un piano sans en verser une seule.
S’éloignant des touches parcourues avec sa mère, il lui prend la pulsion de les remplacer par des baguettes. Pour faire chier son père ou pour se défouler. S’il refuse de laisser le chagrin le transformer en quelque chose qu’il n’est pas, il ne peut pas réellement dire que cette page difficilement tournée… l’est en réalité, des remords, il en aura toute sa vie.

S’il commence petit à petit à s’éloigner des murs dans lesquels il ne peut plus vivre, il faut attendre sa vingtaine pour que, sur un coup de tête, tandis qu’il accompagnait un ami qui se cherchait un appartement, il réponde “J’le prends” à sa place à la fin de sa visite. Evidemment, annoncer à son père son déménagement, sur le coup, il n’y a pas trop pensé. Mais comment regretter quand dans la foulée il adopte sa première boule de poils alors que les animaux domestiques étaient strictement interdit chez les Nakamura ?
Il faudra une dispute de plus, une fugue à Osaka et la rencontre d’une fée, pour qu’à son retour à Tokyo, il plante le poignard ultime dans le dos de son père et signe à Eita. Oui, peut-être que ça aussi, il aurait dû en parler avant….